Parfois il faut se bousculer. Déjà avant la crise sanitaire, j’avais cette sensation ; à trois décennies, trois langues et trois albums de mon pays natal, je me trouvais éloignée de ma vraie voix, ma personnalité musicale, mes paroles.

Du coup, quand je reçois par hasard un appel aux candidatures pour une résidence artistique au Porcupine Mountains Wilderness State Park, dit “The Porkies”, sur la péninsule supérieure du Michigan, USA (l’état de ma naissance), je saute sur l’occasion.

La préparation du dossier est émouvante: je redécouvre tant d’aventures créatives avec différents artistes, et tant de beaux souvenirs par rapport à ma propre progéniture musicale : “Twinkle,” “am I am” et “Take Two”.

Quelques mois plus tard, je n’y pense plus, quand je reçois un mail de la directrice du programme “Wilderness Artist Residency”, me proposant une résidence du 1 au 14 septembre 2020, dans la “Dan’s Cabin”, construite avec amour – mais sans eau courante, ni électricité, réseaux, chauffage…
De nouveau je saute – de joie !

En dépit des défis de la crise, je fais le périple jusqu’au Houghton County Memorial Airport, équipée de ma nouvelle guitare, affectueusement nommée Martha (une Martin GPC-16E). Je loue une voiture on ne peut plus américaine (une Dodge Challenger “muscle car”) et navigue les 200 km jusqu’à l’immense parc (environ 24 000 hectares), au bord du Lac Supérieur. La suite est difficilement descriptible, mais je tente le coup…

Il y a la pureté de l’air, les nuances de couleurs infinies, le noir absolu de la nuit, les sons que l’on n’a plus l’habitude d’écouter : le vent, l’eau des ruisseaux, les bêtes qui croquent le bois de la cabane sous mes pieds. Il y a les employés du parc, avec lesquels je partage une langue, mais dont la culture et le mode de vie me sont étrangers. Il y a les défis quotidiens d’aller chercher de l’eau et bien la doser pour la journée, d’allumer un feu tous les soirs, et de gérer les toilettes sèches sans attirer des souris, qui aiment à faire leurs nids dans le papier.

Et il y a moi-même. Avec mes doutes de ne pouvoir me débrouiller seule, mon esprit ludique qui se laisse inspirer par des choses surprenantes (les pieds dans la boue, un serpent…), mes mélanges éternels de nostalgie, recherches sonores et humour. Chaque instant m’offre une leçon de vie. Petit à petit, je m’habitue à cette nouvelle existence. Les jours s’écoulent.

A l’issue de la résidence, je présente mes chansons en herbe sous forme d’un concert solo, en plein air, à la station de ski du parc. Mes notes s’envolent au-dessus des pistes, alors couvertes d’herbe. Le public, distancié, masqué, enthousiaste, se couvre et applaudit en crescendo afin de se chauffer à la tombée de la nuit. Et les maints souvenirs de ce séjour prennent place dans mon coeur.

Le retour à la “civilisation” semble manquer de sens. La lumière et le bruit de Paris me bousculent, tout comme le noir et le silence lors de ma première nuit dans la cabane. Quelle chance incroyable de connaître ces univers ô combien différents ! Ma passion pour les animaux et la nature à l’état sauvage ne fait que croître depuis mon retour. Et chaque photo, chaque mention de ce parc magique et majestueux me projète de nouveau dans cette vie, la vraie.

Entre septembre 2020 et août 2021 je peaufine les 11 inspirations de cette résidence artistique, en enregistrant moi-même les voix, la guitare, le piano, et les percussions vocales / instrumentales. Pour me sentir moins seule, j’y ajoute quelques bruits authentiques du parc – un clin d’oeil à mes confrères pendant le séjour : l’eau, le vent, le feu, la terre.

Le fruit de ce travail sera mon quatrième album. Je l’appelle “Leaps and Bounds” – car cette aventure, ce saut dans le vide, est un véritable bond vers l’avant, vers l’avenir, pour l’artiste que je suis devenue.

Qui l’aurait cru, en pleine pandémie, à mon âge, toute seule, sans confort ni réseau ?

Et bien justement…